« Les personnes issues de la génération des baby-boomers sont en moyenne 56 % plus intéressées par le mot-clic handjob”, 58 % plus interpellées par les contenus mettant en scène des personnes trans et 54 % plus susceptibles de cliquer sur la catégorie “mature” que les cohortes plus jeunes », révélaient récemment des données compilées par le site pornographique Pornhub à l’occasion de son dixième anniversaire. En parallèle, Pornhub soulignait que les personnes âgées de 55 ans à 64 ans représentaient 8 % du nombre total de ses usagers et usagères, tandis que les 65 ans et plus, 7 %.  Évidemment, les habitudes en matière de consommation de pornographie varient d’une personne à l’autre et ne sont pas strictement liées à l’âge. Par ailleurs, si de nombreuses sources documentent les dangers de la pornographie, allant parfois jusqu’à conseiller aux utilisateurs et utilisatrices de s’en méfier, d’autres en valorisent plutôt les bénéfices. Zoom sur les habitudes de consommation pornographique chez les personnes de 50 ans et plus, dans un monde en plein changement.  Du magazine à l’écran « De la pornographie, j’en consomme depuis que je suis jeune et j’en consomme toujours à 69 ans. Ce sont les moyens d’y accéder qui ont changé », fait d’emblée valoir Pierre*, un homme d’affaires établi à Montréal. « Quand j’étais plus jeune, on achetait un magazine Playboy, un Penthouse ou bien on se rendait dans les clubs vidéo pour louer une cassette VHS. Aujourd’hui, on a accès à tout ça de la maison, grâce à Internet. »  Quand on lui demande si sa consommation de contenu pornographique a augmenté en raison de la facilité avec laquelle on y accède aujourd’hui, Pierre est sans équivoque. « Non, le fait que la porno est aujourd’hui disponible en ligne n’a pas augmenté la fréquence de ma consommation, répond-il avec aplomb. Bien sûr, Internet rend l’accès et les recherches nettement plus faciles et rapides qu’à l’époque. Mais entre un DVD, un magazine ou une vidéo en ligne, la fréquence à laquelle je consomme de la porno n’a pas changé. »  Pierre trace alors un parallèle avec la manière d’écouter de la musique. Par le passé, on achetait des disques, puis des cassettes et des CD. On s’est ensuite muni de iPod, que l’on garnissait de fichiers MP3 téléchargés sur le Web. Aujourd’hui, une majorité de personnes consomment les chansons de leurs artistes préféré·e·s sur des plateformes de streaming, comme Spotify ou Apple Music. Toutes ces options accessibles en deux ou trois clics ont-elles créé un nouvel engouement pour la musique? Pas vraiment.

Le témoignage de Pierre est loin d’étonner Mariane Gilbert, vice-présidente et directrice du volet sensibilisation de l’organisme Les 3 sex*. « Si une personne avait un intérêt pour la sexualité à 30 ans, il y a de fortes chances qu’elle continue de s’y intéresser à 50 ans, 60 ans, ou plus. On peut donc penser que l’intérêt plus spécifique pour la pornographie suit cette logique », croit l’experte qui, tout comme Pierre, souligne que ce sont surtout les moyens technologiques qui ont évolué. 

En outre, les personnes aujourd’hui âgées de 50 ans et plus ont bel et bien assisté à la révolution créée par le Web, les ordinateurs personnels, les téléphones intelligents et les tablettes. « Je suis certaine que l’avènement d’Internet à partir des années 1990-2000 a effectivement attisé l’intérêt de quelques curieux et curieuses chez les baby-boomers et les membres de la génération X, mentionne la spécialiste. Mais je ne suis pas prête à dire que la facilité d’accès engendré par Internet a créé tellement de nouveaux adeptes. L’habitude précède le moyen. » Pour illustrer son propos, Mariane Gilbert établit une comparaison avec la consommation de cannabis et sa légalisation au Canada en 2018. Selon un article de La Presse paru en octobre 2023, « moins d’un[e] Québécois[e] sur cinq affirm[ait] avoir fumé du cannabis dans la dernière année, soit à peu près la même proportion qu’au moment de la légalisation, il y a cinq ans ». Si plusieurs appréhendaient une augmentation fulgurante de la consommation de cannabis dès la création de la Société québécoise du cannabis (SQDC), force est de constater que cette crainte ne s’est pas matérialisée.

« Dans les deux cas, Internet et la SQDC ont fort probablement décomplexé certaines personnes dans leur consommation de porno ou de cannabis, mais c’est une minorité, réitère Mariane Gilbert. Ce sont des comportements qui relèvent des habitudes de vie, au-delà du moyen ou du médium qui permet d’y accéder. »

Mariane reconnaît par ailleurs que l’expression de la sexualité, les envies, les besoins, les réponses du corps (érection, lubrification, etc.) évoluent dans la vie d’une personne, au gré des années qui passent. « La sexualité, partagée ou en solo, ne comble pas forcément les mêmes besoins au fil du temps », considère-t-elle.

Les bénéfices de la pornographie Si l’on en croit le nombre de canaux Reddit (un site Web communautaire américain de discussions et d’actualités sociales) entièrement consacrés à la consommation de pornographie des baby-boomers et des membres de la génération X, le sujet fascine les millénariaux et les jeunes de la génération Z. « Est-ce que les personnes plus âgées regardent de la porno? », « J’ai surpris ma mère de 58 ans devant un film porno, est-ce normal? », « J’ai fouillé dans l’historique de mes parents et ils [elles] check de la porn : que faire? » : les questionnements s’accumulent sur le réseau social. Comme si cette habitude était taboue, réservée aux plus jeunes générations, ou même carrément malsaine.  Pourtant, selon Mariane Gilbert, la consommation de pornographie chez les personnes plus âgées comporte différents bénéfices. « La question du désir est centrale quand on s’intéresse à la sexualité des personnes plus âgées », fait valoir la spécialiste en sexologie, qui considère que la consommation d’images ou de vidéos érotiques peut s’inscrire dans une exploration très saine et participer à la création d’une sexualité en solo riche et diversifiée. « Si on considère le désir comme des braises, la consommation de porno peut être une belle manière de raviver une flamme, que l’on soit en relation de couple ou non. Cela peut venir nourrir l’imaginaire et même ouvrir la porte à de nouveaux fantasmes. » Mariane Gilbert raconte que la pornographie peut notamment être un moyen d’explorer ou même de découvrir une autre orientation sexuelle jamais expérimentée dans la vie réelle.

Pour Pierre, la consommation de contenus érotiques constitue effectivement un moyen de laisser libre cours à ses fantasmes et à son imaginaire, tout en participant à sa vie sexuelle au sens large. « La fréquence [de ma consommation varie énormément d’une période à l’autre. Elle peut passer de trois fois par jour à rien du tout pendant deux mois. Actuellement, je n’ai pas de partenaire sexuelle régulière, donc j’en consomme davantage. La porno agit comme un placebo, elle vient combler un manque quand je n’ai pas d’opportunités réelles », explique le sexagénaire, qui se définit comme ouvert et curieux. 

« Sur le plan du contenu, je n’ai pas de tendance claire ou de catégorie préférée, ajoute-t-il. Je me laisse inspirer par ce que la plateforme me propose, qu’importe! Comme je suis en mode fantasme, tout peut m’intéresser. Il n’y a pas de limites, car cela n’implique que moi. C’est une sphère qui m’appartient. »

Ainsi, il est tout à fait possible de percevoir la pornographie comme une zone de liberté et d’exploration mentale, dans laquelle l’imagination ne connaît pas de frontières. Et pourquoi ne pas réinvestir cette énergie érotique dans ses relations dans la vie réelle?

Qu’en est-il des méfaits? Selon un sondage mené par le Club Sexu (un organisme à but non lucratif voué à la promotion d’une sexualité inclusive, ludique et décomplexée) en 2021, dans le cadre de son défi 1 mois sans porno, plus de la moitié des gens (57 %) rapportaient bien se sentir par rapport à la fréquence de leur consommation de pornographie, tandis que 35 % indiquaient se sentir ambivalents et 8 %, mal.  « Les personnes se sentant ambivalentes ou mal ressentaient de la honte ou de la culpabilité à l’égard de leur consommation de pornographie. Elles se sentaient dépendantes de la pornographie ou avaient peur de le devenir. Elles se questionnaient par rapport à la normalité de leur fréquence de consommation et craignaient que celle-ci mène à des problèmes sexuels avec leur·s partenaire·s », écrit Léa Séguin, chercheuse, consultante et conceptrice sexologique pour le Club Sexu, dans un article récemment publié sur le média québécois.

 

Selon plusieurs expert·e·s, une consommation importante de pornographie peut effectivement mener à une certaine souffrance pour soi-même et même affecter les relations et les vies professionnelle, familiale et sociale. Par ailleurs, de nombreux·euses spécialistes avancent que la pornographie véhicule une vision déformée, stéréotypée et irréaliste de la réalité. On lit même parfois que la pornographie encourage la violence faite aux femmes. 

Pour Léa Séguin, l’enjeu ne résiderait pas directement dans la consommation de pornographie en tant que telle, mais plutôt dans les valeurs sexistes et misogynes malheureusement toujours présentes dans la société et incidemment, dans la pornographie. Pour Mariane Gilbert, la clé réside dans l’esprit critique et la modération. « Bien sûr, la porno présente une vision potentiellement tordue des rapports sexuels, que ce soit des corps, de l’esthétique, des actes, des valeurs, etc. », rappelle la vice-présidente de l’organisme Les 3 sex*.

« Cependant, je suis portée à croire que, contrairement aux enfants ou aux ados, les baby-boomers et les membres de la génération X ont pour la majorité vécu assez d’expériences pour comprendre que ce qu’ils [elles] voient en ligne n’est pas toujours représentatif de la réalité. » Il est difficile d’établir en terme univoque de quoi est fait l’excès de consommation de pornographie, puisque cela varie énormément d’une personne à l’autre. Détresse psychologique? Sentiment de honte ou de culpabilité? Difficulté à établir des relations dans la vie réelle? Préférer systématiquement se masturber devant un contenu pornographique plutôt que d’entrer en contact avec un ou une partenaire?  Pour Mariane Gilbert, personne n’est à l’abri de tomber dans les excès. Si tel est le cas, elle invite les gens à se questionner sur la notion d’intimité. « Si une personne pense regarder “trop” de porno ou qu’elle soupçonne que sa consommation a un impact négatif sur sa vie, son couple, ses relations interpersonnelles, son travail ou autre, je l’inviterais à se demander ce que ladite consommation comble », élabore l’experte avant de souligner qu’à ses yeux, la sexualité n’est qu’un pan de l’intimité. « Si la pornographie devient la seule forme d’intimité expérimentée par une personne, on peut considérer que cela peut effectivement engendrer des effets négatifs. » En règle générale, la consommation de pornographie n’a rien de mal en soi. Mais comme pour l’alcool ou le cannabis, on suppose que la modération a bien meilleur goût!

*Nom fictif, pour préserver l’anonymat.

 

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