Quand la nature n’arrive pas à se décider, des enfants en payent chèrement le prix !

 

Autrefois, on les appelait hermaphrodites, ces enfants qui venaient au monde avec les attributs des deux sexes. Autrefois, c’était une malédiction que l’on devait camoufler, sinon la honte s’étendrait sur toute la famille. Mais les mœurs ont évolué… un peu ! On parlera maintenant d’intersexuation et le déshonneur de jadis se fait progressivement tasser par une prise de conscience de la communauté scientifique et de la société en générale. Certes, il y a encore beaucoup de chemin à faire. Reste quand même que l’éveil est enclenché parce que des enfants de cette autre époque brisent le silence.

 

La dictature d’un père

Parmi ces ex-enfants, l’auteure Dany Salomé offre un témoignage percutant de ce qu’elle vit depuis sa naissance dans son livre sorti en 2011 : Je suis né, ni fille, ni garçon.

Dany Salomé est née en France en 1955 d’un père instituteur et d’une mère au foyer. Ses parents s’étaient mariés 10 ans plus tôt, car sa mère était enceinte. Elle donnera naissance alors à une fille, Annie, qui décèdera trois semaines plus tard de déshydratation. La mère, une rachitique personne de 40 kg (88 livres) n’arrivait pas à lui fournir un lait de qualité et impossible pour la famille d’en obtenir de l’extérieur.
« Il m’arrive de croire, dit Dany Salomé, qu’Annie a choisi de partir, car elle avait peur de papa
pour qui, seul un garçon trouvait grâce à ses yeux. Mon père était un homme menteur, manipulateur et contrôlant. Il fallait pratiquement son autorisation pour respirer. Ma mère quant à elle, était une personne soumise qui se réfugiait dans le silence tant elle craignait son mari. Combien de fois ai-je vu nos sorties du dimanche chez mes grands-parents se terminer de façon catastrophique ? L’alcool et le vin coulaient à flots lors de ces réceptions qui se concluaient très souvent par des bagarres entre mes oncles, avec mon père au milieu à se battre lui aussi. Quand les hostilités prenaient fin, on revenait en voiture à vitesse folle avec mon père ivre au volant. Ma mère et moi étions tellement effrayées! Vraiment, l’ambiance à la maison était toujours lourde et angoissante, » ajoute l’auteure.

 

« Tu seras un homme mon fils »

C’est dans ce contexte familial où règnent peur et soumission que grandit Dany Salomé et c’est dans ce même contexte qu’elle découvre d’une horrible façon que quelque chose ne va pas avec son corps.

« J’avais dix ans et bien sûr ne connaissais rien à rien du physique d’un garçon ou d’une fille. Ma mère m’aidait à prendre ma douche. Papa arrive sur l’entrefaite et porte le regard sur mon bas ventre. Il s’approche de moi et s’accroupit les yeux droits devant mon sexe. Il le scrute attentivement en fronçant les sourcils. Puis se relève et se met dans une sainte colère. Ma mère est en pleurs. La voir ainsi m’attriste profondément, mais j’ignore ce qui se passe. Je ne comprends pas. Je suis paralysée. Quelques jours plus tard, je me retrouve à l’hôpital à subir une série d’examens. Radios par-ci, radios par-là ! Professeur et internes me regardent sous tous les angles et me font des attouchements. Je me sentais comme un animal malade. J’étais traumatisée, » confie Salomé.

 

Diagnostic du médecin :

« Micropénis, testicules non descendus, scrotum ouvert avec des lèvres, peut-être un début de vaginThyroïde déficiente, taux hormonal anormal. »

Et le médecin prescrit des extraits thyroïdiens et de l’Androgénol (testostérone).

Diagnostic du père :

« On se ferme la gueule. On ne parle de ça à personne. Quant à toi, tu seras un homme mon fils. »

Et pour être certain que ce commandement ne soit jamais oublié, il placarde sur la porte de la chambre à coucher de l’enfant ces mots : – Tu seras un homme mon fils ! –  

 

 

Le « fils » délinquant

Dix ans et déjà sérieusement médicamenté, le « fils » aura tôt fait de vivre les effets secondaires de cette médication. Des effets sérieux dus en bonne partie à la prise de testostérone. Salomé dira même que ce fut l’enfer. Le « garçon en cours de fabrication » devient de plus en plus violent : à l’école et dans la rue. À 12 ans, il commence à boire et à fumer. Le père voit bien ce qui se passe, mais garde le cap et, pour l’avoir bien à l’œil, fait transférer « son fils » à l’école où il enseigne. Mais tout ça n’aura guère d’incidence sur l’ado qui demeure aussi, sinon davantage délinquant. Le père passe donc à la phase deux de son plan et oblige le rejeton, qui vient d’avoir 16 ans, à entrer dans l’armée.  Ça ne fait pas vraiment l’affaire de l’enfant, mais impossible de refuser. Et pour être certain que l’enfant ne se défile pas, le père lui tient la main pendant qu’il signe son engagement : un contrat de 5 ans dans la Marine Nationale où il devient infirmier.

 

 

 

Clara change le cours de l’histoire

Salomé prendra goût à sa nouvelle vie. Elle partage son temps entre ses cours d’infirmier, des sorties avec les potes et un travail sur le terrain comme infirmier. C’est justement lors d’une ronde dans les chambres d’un hôpital afin d’apporter aux patients leurs médicaments que Salomé fait la connaissance de Clara.

Lorsque Salomé entre dans sa chambre, Clara est de dos, entièrement nue. Salomé n’a pas fini de s’excuser d’être entrée à ce moment inopportun que Clara se retourne face à « l’infirmier » sans aucune pudeur.

« Quelle n’est pas ma surprise de constater que la dame en face de moi a un sexe masculin, explique Salomé. Je suis fascinée par ce que je vois et réalisant à quel point je suis troublée, la dame me dit

Eh oui, jeune homme, je suis transsexuelle – .

Après quelques secondes d’hésitation, Salomé lance : « Comment en êtes-vous arrivée là ? »

Clara répond prendre des médicaments depuis très longtemps afin de changer de sexe. À son tour Salomé lui raconte ce qu’elle vit, c’est-à-dire s’être sentie fille jusqu’à ses 10 ans et qu’ensuite les choses… ont tourné différemment. Cette première rencontre est une révélation pour Salomé qui voit naître pour une première fois l’espoir. L’espoir d’être !

Clara, fin trentaine, une femme d’une extrême gentillesse et Salomé se revoient fréquemment et c’est à la suite de leurs nombreuses conversations que Salomé apprend l’existence d’un psychiatre ouvert d’esprit de qui il serait possible d’obtenir des ordonnances de médicaments afin de changer de sexe, entre autres, de l’Androcur qui stoppe la production de testostérone et des oestrogènes. Salomé ne fait ni une ni deux et obtient rapidement un rendez-vous avec le psy. La consultation ne dure que 10 minutes et Salomé en ressort avec des ordonnances en poche… elle en ressort avec les clefs de sa liberté ! Faut néanmoins faire gaffe avec ces médicaments. Évidemment elle doit cesser de prendre de la testostérone, mais doit aussi y aller mollo avec l’alcool et le tabac, car un foie de garçon n’est pas fait à l’origine pour absorber des œstrogènes. Un dérèglement de sa santé la conduirait directement aux services médicaux de l’armée et puisqu’elle est mineure, ses parents en seraient automatiquement informés et découvriraient son plan.

Et surtout, Salomé doit s’armer de patience, c’est un traitement de très très longue haleine!

« Partir comme j’aurais dû naître ! »

Son contrat terminé, Salomé quitte l’armée et devient agente commerciale au sein d’une compagnie aérienne à Paris. Quelques années plus tard, elle quitte la ville lumière pour s’établir en province où elle deviendra gestionnaire en restauration scolaire et plus tard restauratrice d’œuvres d’art.

Salomé n’est pas bien dans sa peau, mais au moins elle est en paix avec elle-même. Elle est même heureuse! Un jour elle fait la rencontre d’une mère porteuse qu’elle mariera en 1978, un mariage qui est plutôt une convention, « un deal » comme elle dit. Et ce « deal » est d’avoir trois enfants et d’être ensemble durant 15 années. Les clauses ont toutes été respectées et un divorce est prononcé en 1994.

« Ce fut une excellente décision de ma part, cette union. Je suis tellement fière de mes enfants pour qui je suis à la fois papa et maman. »

Dans les mois qui suivent le divorce, Salomé renoue avec une vieille connaissance pour qui elle avait un solide béguin. René l’a toujours acceptée telle qu’elle est et les retrouvailles ont donné lieu à des moments de grande passion, sauf qu’elle apprend en juin 1995 que ses échanges passionnels ont eu un prix. Elle est diagnostiquée séropositive et à moins que la science n’évolue, on ne lui donne que 8 peut-être 9 ans à vivre. « Ça m’a donné tout un choc. J’avais 40 ans, mais j’avais l’impression d’en avoir 75. » Eh bien, la science a progressé et aujourd’hui, à 68 ans, Salomé dit se porter très bien. Très bien, mais ses attributs masculins l’encombrent au plus haut point.

« C’est très embarrassant explique-t-elle. Vous savez, l’été à la plage ou à la piscine, lorsque vous devez vous mettre en petite tenue, vous devez vous astreindre à une technique pesante afin que votre corps soit lisse… »

Et la transformation chirurgicale?

« Bien sûr, déjà en 1998 j’avais fait les démarches à Bordeaux mais j’avais développé des effets secondaires sévères liés à la trithérapie, mon traitement en raison de ma séropositivité. Il faut dire aussi qu’à cette époque les médecins n’étaient pas vraiment formés à ces opérations en France. Le mieux était d’aller en Thaïlande, mais je n’en avais pas les moyens. En 2020, j’avais un dossier aux hôpitaux de Lyon. J’ai rencontré le chirurgien et tout était ok. Hélas, j’ai joué de malchance, avec tout cette histoire de Covid, on a égaré mon dossier ! J’ai recommencé les démarches à l’hôpital Tenon à Paris. Il faut compter 18 mois d’attente. Voilà, ça va faire 12 mois que j’attends… Pour être franche, je ne suis pas optimiste. Mais bon, si je n’y arrive pas, je n’en ferais pas une maladie, mais je fais tout pour, car j’aimerais bien partir comme j’aurais dû naître ! »

En attendant cette éventuelle chirurgie, Salomé affirme se sentir bien. Elle se sent à sa place, elle se sent en vie partageant son quotidien avec son petit chien tout en espérant vivre un jour, une autre histoire d’amour.  Elle ajoutera n’avoir aucun regret, sinon beaucoup de rancune envers son père.

« Je vous confie que je me suis sentie libérée à sa mort! J’espère qu’il n’est pas en paix, là où il se trouve afin que son esprit puisse évoluer pour la suite, chasser ses obsessions et sa personnalité possessive. Une entité bien basse, tourmentée et démoniaque selon mon vécu.

Pour ce qui est de ma mère, c’est une autre histoire. Tombée gravement malade, elle est décédée en 1981. Elle n’aura connu qu’un seul de ses petits-enfants. Cette perte m’a beaucoup endeuillée et après ça, je n’ai plus vu mon père pendant bien longtemps. Celui-ci n’ayant rien trouvé de plus intelligent que d’être avec sa maîtresse du moment dans un hôtel proche du lit de mort de maman ! Et qui plus est, il a eu le culot de m’inviter au restaurant en leur compagnie… un désastre émotionnel ! »

 

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