Depuis 36 ans, Luc Provost incarne la plus connue des drag queens du Québec que tout le monde connaît sous le nom de Mado Lamotte, un personnage qu’il a créé de toute pièce avec son grand ami Olivier de Maisonneuve. « Je ne pensais pas que cette aventure connaîtrait un tel succès. Bien sûr, le personnage a évolué avec les années. Ce n’est plus la matante du début. Même si elle demeure excentrique, un peu prétentieuse aussi, elle offre encore à son public cet humour qui l’a si bien caractérisée. » Oui, Mado Lamotte sait faire rire, mais aussi faire pleurer dans ce cabaret appelé Le Cabaret à Mado qu’elle a fondé, en 2002, dans le Village gai de Montréal. Rapidement, l’établissement devient une véritable institution de la scène nocturne montréalaise. On a d’ailleurs souligné les 21 ans de ce grand cabaret lors d’une fête spéciale en mai dernier. « J’ai été guidée dans mes choix artistiques par la tradition clownesque », a-t-elle déjà déclaré dans un média de Montréal. « Il n’y a pas de message particulier dans mes spectacles. Pour moi, le but, c’est de toucher les gens et surtout de les divertir. »

 

 

 

 

 

Star de la nuit

Cette grande aventure a débuté lors d’une soirée un peu folle, dans un bar montréalais, où il y avait une compétition sous le thème des femmes d’affaires du Québec. « On s’est déguisé, on a participé à la compétition et on a eu tellement de plaisir qu’on a décidé de remettre ça. » La future Mado Lamotte et son complice sont tombés ensuite dans la magie du drag queen en participant à de petits spectacles une fois par mois. « Au bout du compte, je n’aurais jamais cru que ce personnage me suivrait aussi longtemps et qu’il allait faire de moi une artiste connue », explique-t-il.

« Quelque part dans mon évolution, des gens comme la chanteuse Michèle Richard, l’humoriste Clémence DesRochers et certains personnages de l’auteur Michel Tremblay m’ont beaucoup inspiré. Je n’ai jamais voulu faire une parodie de la femme. Je pense que c’est une insulte pour la gent féminine », dit-il. « Je n’étais pas du genre à me déguiser ou à mettre les vêtements de ma mère en cachette. Pour moi, le drag queen, c’est du spectacle, du théâtre, des vêtements et des maquillages complètement déjantés », lui qui compte des centaines de costumes et de chaussures dans sa garde-robe. Écologiste dans l’âme, elle recycle tous ses vêtements et accessoires.

Passé heureux

Luc Provost est né dans le quartier Rosemont à Montréal où il a connu une enfance heureuse entouré de sa famille. « Je suis le fils cadet d’une fratrie de deux enfants. Je n’ai que de bons souvenirs de cette époque. Mes parents étaient des gens aimants. Je n’ai jamais manqué de rien. Le sport ne m’intéressait pas. Ce qui m’attirait, c’était le théâtre et j’ai fait partie aussi de quelques chorales. Pour moi, c’était toute ma vie. Mes parents ont toujours accepté mes choix. Bien sûr, ils auraient aimé que je devienne médecin ou notaire comme tous les parents, mais j’avais du succès dans mon métier et c’était bien ainsi pour eux. Ma mère entre autres m’a appris à voir le bon côté des choses, tout en alimentant cette joie de vivre qui l’a toujours caractérisée. » Sans conjoint, ni enfants, Luc Provost partage son intimité avec ses deux chattes, son havre de paix après autant de tourbillons nocturnes et de spectacles.

La consécration

« Je dois une fière chandelle à l’animatrice Christiane Charette », admet Luc Provost. « C’est elle qui m’a permis de me faire connaître à travers mes chroniques. Ce fut l’élément déclencheur. Ça m’a donné une reconnaissance si l’on peut dire, mais surtout une crédibilité. Avoir participé aux émissions de Christiane m’a apporté ce respect. Bien sûr, les temps ont changé aussi. Les drag queens sont devenues un phénomène grand public. » Et puis, il y a eu cette longue suite de succès. Elle se produit d’abord dans des bars parallèles de Montréal en 1987. Mado Lamotte anime entre autres les nuits du Zorro, du Lézard et du Sky. Elle devient une incontournable des nuits folles du Village gai. Aussi, pendant près de 15 ans, Mado Lamotte a animé Mascara, la nuit des drags dans le cadre du festival Divers/Cité.

Outre ses apparitions au Cabaret à Mado, l’excentrique drag queen s’est produite sur plusieurs scènes des grandes villes du Québec, au Nouveau-Brunswick et en Europe, notamment à Paris où elle a animé les nuits endiablées de la Ville Lumière pendant 20 ans.

Que penser maintenant de cette offensive d’un certain public sur la présence de drag queens dans les salles de lecture des bibliothèques? « Je pense que c’est du n’importe quoi. De toute évidence, certaines personnes ont besoin de se faire entendre pour des raisons qui leur appartiennent. Quelle différence y a-t-il entre la Fafreluche des années 1960 et celle des drag queens de notre époque? Aucune, si ce n’est que le conte était lu par une femme au lieu d’une drag queen. Dans les deux cas, il s’agit de clowns déguisés. Les parents peuvent dormir tranquilles. Tous les livres sont choisis par les bibliothèques. Tout est parfaitement encadré. »

 

Et la suite

Âgé de 57 ans maintenant, Luc Provost reconnaît que la vie nocturne et tous ces spectacles en boucle commencent à peser lourd. « Ne vous méprenez pas, Mado Lamotte n’a pas d’âge et continuera à faire ce qu’elle sait faire de mieux tant que ses jambes pourront la porter. » Qu’importe, Mado a un peu délaissé la scène pour s’occuper de l’aspect artistique du Cabaret. Elle a aussi pris sous son aile plusieurs recrues qui font aujourd’hui les belles soirées du Cabaret à Mado et ailleurs. « C’est vrai que le métier de drag queen a évolué avec les années, mais la clientèle aussi. Aujourd’hui, la clientèle est âgée entre 25 et 40 ans, des gens de tout genre. Fait surprenant, environ 80% de la salle est composée de femmes. »

Pour Luc Provost, il est temps de faire le point sur une si longue et fructueuse carrière. Faire le point ne veut pas dire, pour lui, se retirer, mais d’écrire ses mémoires dans une autobiographie qui sera publiée, en octobre, aux Éditions La Presse. « Luc et Mado sont des personnages différents, mais indivisibles en quelque sorte. Dans ce livre, Luc et Mado se racontent chacun leur tour. Ils partagent ensemble leur passion pour leur métier. Bien sûr, il y a beaucoup d’anecdotes. Parfois, ils échangent entre eux comme une vraie conversation, ce qui crée une dynamique très spéciale. Je crois que le public va aimer », dit-il.

Luc Provost et Mado Lamotte sont moins présents aujourd’hui à la télévision. « C’est volontaire. J’ai quand même participé récemment à l’émission La vraie nature animée par Jean-Philippe Dion à TVA. Le public a pu en apprendre davantage sur le vrai Luc Provost que les gens connaissent moins. »

Les projets ne s’arrêtent pas là pour lui. Du 12 septembre au 7 octobre, il se produira pour la première fois au Théâtre du Trident de Québec, dans la pièce Hosanna ou la Shéhérazade des pauvres, écrite par Michel Tremblay. « J’incarne la Hosanna d’aujourd’hui qui a mal vieilli. C’est un défi de taille pour moi puisque je n’ai jamais appris d’autres textes que ceux que j’ai écrits pour Mado. Ça promet », conclut ce diplômé en théâtre de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

 

 

 

 

 


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