Daniel était un petit garçon semblable à tous les autres. Peut-être un peu frêle, mais enjoué, bien dans sa peau, en plein épanouissement au sein d’une famille tout ce qu’il y a de plus normale. Le petit homme vivait heureux partageant son temps entre l’école, les amis et la maison. 

Crédit Photo: Alain Roberge. La Presse

Ce fut comme ça jusqu’à ce qu’on lui annonce que maman et papa divorceraient. Le choc est dur à encaisser d’autant plus qu’après l’annonce on lui dit « qu’il sera dorénavant l’homme de la maison et qu’il devra veiller sur sa maman et sa petite sœur. »

Le meurtre

Sa vie a changé dès cet instant. Non seulement le petit homme de 9 ans vivait une grande peine à voir son père partir, mais en plus, prenant au pied de la lettre ce qu’on lui avait dit, Daniel se voyait investit d’une très lourde responsabilité : veiller sur sa maman et sur sa jeune sœur de six ans. Un mandat qu’il n’aurait jamais cru aussi difficile. Mais qu’est-ce qui pourrait bien arriver de pire aurait-il pu se dire dans sa tête d’enfant?

Il ne tardera pas à le savoir. Le pire s’installe dans sa vie un an plus tard lorsque sa mère se fait un nouveau copain. Il réalise très rapidement que c’est un homme d’une grande violence qui vient d’emménager dans sa maison.

Pendant les huit années qui suivront, il sera le triste témoin impuissant de nombreuses scènes violentes. Combien de fois, il se fait réveiller aux petites heures du matin par des cris à fendre l’âme, par des objets qui s’écrasent sur les murs, par des éclats de verre, par le bruit des coups que porte l’homme sur sa maman et par ses pleurs qui viennent conclurent chaque fois ces violentes attaques. Pour le garçonnet qui n’avait jamais vu ses parents se chicaner, ni même hausser le ton, ces scènes tiennent de l’irréel.

« Le pire dans tout ça, raconte Daniel, c’est que je me sentais responsable. Responsable de ne pouvoir y mettre fin. Plus d’une fois, j’ai appelé la police, mais elle ne faisait rien de concret. Pour eux, comme pour la parenté à qui je demandais de l’aide, c’était du domaine de la vie privée et on n’avait pas à intervenir. C’était ça la mentalité à l’époque, c’était comme ça dans les années 70. »

Daniel, 5 ans en 1967

Les années de violence conjugale défilent et laissent de plus en plus de traces. Devenu adolescent, Daniel se sent terriblement seul. Jamais d’ailleurs il n’invite qui que ce soit à la maison de crainte que l’invité surgisse au cœur d’une tempête. Déjà honteux de la situation, il ne voulait pas en ajouter. Son rendement académique en souffre lui aussi. « Difficile d’être en forme à l’école quand tu te fais réveiller à 1 heure du matin par des cris et que tu vois ta mère se faire battre, » raconte-il.

Pourtant, Daniel avait de l’ambition. S’inscrire en lettres au cégep et pourquoi pas l’université ensuite ? Mais le destin a d’autres plans pour lui.

Nous sommes en juin 1982. Daniel a maintenant 18 ans. Le moment de mettre un terme à tout ça est arrivé. Il fixe un rendez-vous à son beau-père dans un stationnement à Oka. Le jeune homme s’y rend armé d’une arme tronçonnée de calibre 22.

« Je voulais simplement lui parler et l’arme devait simplement servir à lui faire peur, affirme-t-il. Mais la discussion a dégénéré à tel point que j’ai dû faire feu. Le coup fut mortel. »

La prison

La police n’a pas mis de temps à remonter jusqu’à Daniel. On l’arrête deux jours plus tard. Le contexte familial dans lequel s’est produit le drame ne pèsera pas lourd dans la balance. En dépit de tout ce qu’a dû vivre Daniel, le juge condamne le jeune garçon à 25 ans ferme. « Ça m’a vraiment secoué. Je réalisais du coup que je passerais plus de temps en prison que ce que j’avais vécu jusqu’ici. Le choc du verdict a été autant, sinon plus sévère pour ma mère qui avait perdu à la fois son conjoint et maintenant son fils. À la suite du prononcé, on m’a installé dans un fourgon et conduit à Archambault. Une nouvelle vie commençait pour moi, » se rappelle encore très bien Daniel Benson.

 

Le moment n’aurait pas été plus mal choisi pour faire son entrée à Archambault. Le pénitencier

venait tout juste d’être le théâtre d’une violente émeute, la plus meurtrière dans l’histoire des pénitenciers au Canada. Elle fera sept blessés et cinq morts dont trois gardiens assassinés par des détenus. L’un des gardiens en était à une heure de la retraite. Facile d’imaginer l’atmosphère entre les murs du pénitencier au moment où le jeune garçon de 18 ans y met les pieds.

 

On aura beau dire ce qu’on veut, la nature humaine étant ce qu’elle est, les gardiens ont de la rancune ce qui ajoute au stress des prisonniers. La clientèle d’Archambault est variée. C’est l’endroit désigné pour y incarcérer des criminels d’importance, entre autres, Jacques Mesrine, le tueur en série Clifford Olson, Valery Fabrikant. Selon la criminologue Trina Phillips, il s’agit du pire pénitencier au Canada pour y purger une peine en raison de la dangerosité des détenus et de la mentalité qui y prévaut (Journal de Montréal avril 2015 – Bienvenue à l’USD).

 

Daniel à l’Établissement Archambault en 1984

« J’étais persuadé que c’était ma mort, qui m’attendait. J’ai même vu un détenu se faire tuer droit devant moi. Ça ne faisait même pas même pas un an que j’étais là quand c’est arrivé. Je croyais sincèrement que je ne sortirais pas de là vivant. Durant mes cinq premières années d’incarcération, combien de fois je me suis demandé si je ne me pendrais pas moi-même le soir venu, » affirme l’ex-prisonnier.

 

En attendant, Daniel n’a pas intérêt à jouer les gros bras. Il ne fait tout simplement pas le poids. Profil bas, tel est son mot d’ordre. « Il faut éviter de se retrouver dans une situation qui peut devenir problématique. Tu dois faire tes affaires, ne pas t’occuper de celles des autres et surtout avoir l’intelligence de voir venir les situations qui ont des chances de dégénérer, et il y en a, » précise-t-il.

 

Le lever se fait à 7h30 chaque matin. Suivent ensuite la douche et le déjeuner. Après quoi, à 8h30, les détenus vont au travail. Daniel travaillera à la cinémathèque en plus de faire des études menant à un bac en théologie. Ce programme est offert par l’Université de Montréal. Il va donc à l’école de 8h30 à 11h30. Ensuite c’est le dîner. Les cours reprennent à 13h et se terminent à 15h30. Une pause sera prise, puis ce sera le décompte des prisonniers tout juste avant le souper après quoi les détenus seront en activités : dans la cour, au gym, à la télé, au cinéma. Daniel, pour sa part, reprend le boulot à la cinémathèque. Tous devront avoir regagné leur cellule à 23h. Et c’est comme ça 7 jours sur 7.

À travers ça, il y a bien sûr des appels téléphoniques ou des visiteurs. Régulièrement Daniel reçoit la visite de sa mère qui n’a de cesse de se responsabiliser pour ce qui est arrivé. Parfois, elle vient accompagnée des sœurs de Daniel, car sa mère a eu un enfant avec son deuxième conjoint. « Et nos relations ont toujours été très bonnes, » tient à souligner Daniel.

Avec sa soeur Karine lors d’une visite en 1988

« Ce fut un peu plus difficile lors des anniversaires ou dans le temps des Fêtes. Je savais qu’il y avait une réception chez quelqu’un de la famille et j’hésitais toujours à appeler de crainte de les mettre mal à l’aise. Mais chaque fois ça s’est fort bien passé. Je n’étais pas avec eux, mais j’y serais un jour, » se disait-il maintenant qu’il avait repris du poil de la bête et réussi à chasser pour de bon ses idées suicidaires. S’il y est parvenu, il le doit en grande partie à l’aide offerte durant son incarcération par son agent de libération Jacques Bigras que Daniel tient en très haute estime.

 

 

La rédemption

Daniel finit sa peine en 2007. Il sort de prison armé cette fois d’un bac en théologie. Le retour dans la société n’est pas simple toutefois. Un logement sans meuble, sans réfrigérateur et une quête d’emploi. C’est dans ces conditions qu’il doit recommencer à vivre.

Il finit par dégoter un job parfaitement adapté pour lui : interventionniste en psycho social chez l’organisme Option vie et deviendra plus tard coordonnateur à l’hébergement à la Société John Howard du Québec, poste qu’il occupe toujours aujourd’hui.

Il a renoué également avec les réceptions familiales. Il se souvient encore très bien de la toute première après sa sortie de prison alors que cousins, cousines, oncles, tantes et sa famille étaient présents. « Ce fut plus facile que je ne l’aurais cru et c’est sans doute dû au fait que j’avais gardé le contact pendant mes 17 années d’emprisonnement, » suggère-t-il comme explication. Il aimerait bien pouvoir dire que tout ça est maintenant derrière lui, mais il ne le peut pas. « Non, je n’y arrive pas, car il n’y a pas un jour depuis le triste événement où en me faisant la barbe le matin, je ne vois pas la figure de l’homme que j’ai tué. Il ne méritait pas la mort. Il y avait trop de violence en lui et il aurait fallu le faire soigner. »

 

Daniel Benson donne également des conférences qui attirent passablement de monde. Son atelier, Coupable ou non coupable est le plus populaire de tous. C’est très interactif. Il raconte quatre histoires de meurtre et demande ensuite à son auditoire de déterminer avec explications pour chacun des cas, si l’individu est vraiment coupable. « Les étudiants de secondaire adorent l’exercice. Mais l’atelier s’adresse aussi aux adultes, » souligne le conférencier.

Daniel Benson est aujourd’hui un homme heureux qui s’est donné comme mission de faire profiter les autres de ses connaissances. Il n’est ni héros, ni criminel. Il est redevenu un homme ordinaire. Un homme comme vous et moi à la différence que lui a vécu des expériences nettement hors de l’ordinaire!

Pour avoir des informations sur ses conférences : Facebook Daniel-Benson-Communicateur-Conférencier

 

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