À l’automne 1999, la vie de Sylvain Sheehy bascule. Père de deux jeunes enfants âgés de 5 et 7 ans, toujours amoureux de sa conjointe depuis leur rencontre à l’université, 15 ans plus tôt, Sylvain Sheehy, contre tout attente, s’éprend d’un nouveau collègue de travail dont il tombe littéralement sous le charme.

À 37 ans, il est pour la toute première fois confronté à son homosexualité.

«Est-ce que j’avais vécu dans le déni? Peut-être!, suggère-t-il, mais si tel est le cas, c’était certainement d’une manière inconsciente. À part quelques soupçons à l’adolescence, je ne pensais pas être attiré par les hommes.»

Toujours est-il que par un banal soir de semaine, alors qu’ils se racontent tout bonnement leur journée une fois les enfants au lit, sa conjointe Patricia lui fait prendre conscience de ce qu’il est en train de vivre.

«Elle m’a dit “tu te rends compte que cet homme-là tu l’as dans la peau” avant d’ajouter qu’elle aimerait que je la regarde avec les mêmes étincelles dans les yeux que lorsque je parle de lui. Les deux bras m’ont tombé.»

De l’aide

Le voyant visiblement tourmenté, une amie qui travaillait à ses côtés à la Banque Nationale lui refile discrètement une carte du programme d’aide aux employés.

«Ce programme m’a sauvé la vie», dit-il en évoquant cette période trouble où les idées noires le hantaient.

La thérapie qui a suivi a eu un effet salutaire pour celui qui, du jour au lendemain, devait à la fois faire le deuil de son amoureuse, d’une famille unie et heureuse et de cet homme dont il était tombé en vain éperdument amoureux.

«Il m’aurait demandé de tout quitter pour le suivre à l’autre bout du monde, je crois que je l’aurais fait», poursuit Sylvain Sheehy.

Nouvelle vie

Un an après sa séparation avec la mère de ses enfants, qui demeure à ce jour sa plus grande amie, il refait sa vie avec Patrick qu’il prendra pour époux en 2007.

«Au bout d’un an, en 2002, il est venu vivre chez moi. Quand on avait les enfants, Patrick couchait dans la chambre d’invité, ce qui privait les enfants de leur coin télé le samedi matin. Jusqu’au jour où mon plus jeune, alors âgé de 7 ans, propose que Patrick couche dans mon lit».

Quelques mois plus tard, son frère aîné posait l’inévitable question: «Papa, Patrick, c’est-tu ton amoureux?»

«Oui, c’est mon amoureux», lui a-t-il simplement répondu et cela en est resté là. Il faut ici comprendre que la mère des enfants a été appelée par la suite à «gérer le reste du flot de questionnements et d’incompréhension» avec tout le tact qu’il lui reconnaît.

À ce moment précis, Sylvain s’est rappelé cet échange avec la pédopsychiatre qu’il avait consultée quant à la façon d’expliquer l’homoparentalité aux enfants. «“On attend qu’ils posent la question”, m’avait-elle dit. À une question fermée, on répond par oui ou par non et on laisse ça là. On a souvent tendance à vouloir donner trop d’informations, ce qui a pour effet de les insécuriser plutôt que les rassurer.»

Comme une lettre à la poste

Aux yeux de Sylvain Sheehy, son orientation sexuelle n’a jamais constitué un réel enjeu ni posé problème pour ses enfants. Encore-là, il en attribue une large partie du crédit à son ex-conjointe qui a toujours fait preuve d’une grande ouverture dans ses échanges avec les enfants.

«Ils ne se sont jamais cachés et n’ont jamais eu honte de leur père», mentionne celui qui a déjà prononcé quelques conférences dans les cégeps pour démystifier l’homoparentalité.

L’homme aujourd’hui âgé de 58 ans en veut pour preuve cette anecdote survenue à l’école secondaire privée que fréquentaient ses deux fils.

«Dans la cage d’escalier menant aux salles de cours, un gars qui se trouvait deux étages plus bas interpelle son plus vieux en lui criant “Heille! Ç’a l’air que ton père est fif”, sous les rires de tous les étudiants. La réplique fut aussi vive que cassante: “Ouais, mais le mien y travaille au moins!” Ç’a été fini.»

Quant au plus jeune, il n’allait pas être en reste. Au début de l’adolescence, à un voisin qui aborda l’homosexualité de son père, il répliqua: «Heu… oui, pis après? Mon père est gay, je l’aime et si t’as un problème avec ça, j’ai pas besoin de toi dans ma vie» avant de virer les talons.

Illumination

Pas peu fier des hommes que sont devenus ses garçons, Sylvain Sheehy l’est d’autant plus qu’il craignait, plus jeune, ne pas être un bon père. Au point qu’il s’était résigné à l’idée de ne pas en avoir, et ce, au grand dam de son amoureuse.

Natif de Saint-Marc-de-Figuery, une municipalité de paroisse de l’Abitibi, celui qui a toujours entretenu une relation difficile avec son père ne voulait pas risquer de reproduire le modèle paternel.

L’ironie du sort a voulu que les dernières heures de son père, terrassé par une embolie pulmonaire et un infarctus en 1991, changent le cours de sa vie.

«Tout le monde était autour de lui, son épouse et ses quatre enfants. Ce fut comme une illumination. Je me suis dit que je ne pouvais pas ne pas avoir d’enfants. De retour d’Abitibi après les funérailles de mon père, je me souviens d’avoir dit à Patricia “Veux-tu toujours des enfants; veux-tu toujours que je sois le père de tes enfants?”»

Sylvain et Patricia se sont mariés l’année suivante et ont eu leur premier fils en 1993, puis un second deux ans plus tard.

D’ailleurs, un des plus beaux compliments qui lui ait été fait remonte à quelques années. Lors d’une réunion, il reçoit un texto qui suscite la curiosité de ses pairs. Pressé de questions par ceux-ci, il finit par leur partager le message de son fils aîné de 19 ans, un gaillard de 6’4’’ et quelque 200 livres: “Salut mon papa d’amour, je t’aime, tu me manques.”

Les yeux de son collègue Jean-Sébastien, père de trois enfants d’une dizaine d’années plus jeunes que les siens, se sont aussitôt embués. «Te rends tu comptes combien t’as réussi ta vie?»

Être en paix avec son âme

À l’emploi de la Banque Nationale depuis 25 ans, une société extrêmement «inclusive» ne manque-t-il pas de souligner, cet ancien gestionnaire aujourd’hui directeur de comptes n’a jamais eu à regretter un seul instant sa sortie du placard et n’y voit surtout pas là un acte de courage.

S’il avait un seul conseil à donner à ceux qui hésitent à vivre ouvertement leur homosexualité, parents ou pas, ce serait celui de «ne pas laisser leur âme tourmentée dans un corps tourmenté».

«Être à l’écoute de son âme, c’est écouter cette petite voix intérieure que l’égo a tendance à enterrer», dit-il. Pour ça, il suffit d’arrêter de s’en faire avec ce que les gens pourraient penser de nous, alors qu’ils ont bien d’autres choses à se soucier…