L’humoriste André Sauvé n’aurait pu choisir meilleur endroit où vivre ces deux dernières années.

Depuis les Alpes françaises où il habite avec son conjoint Dimitri, le stand-up québécois s’est livré à cœur ouvert au magazine Rebel dans une entrevue via Zoom à la fin janvier.

L’artiste va très bien.  « Moi, la pandémie, je l’ai vécue ici, à l’abri de toute cette morosité-là« , lance André Sauvé lorsqu’on s’informe sur la façon dont il a survécu aux tourments de cette foutue crise sanitaire qui n’en finit plus de finir. Jusqu’à ce que nos vies basculent en mars 2020, il se partageait entre le Québec et la France.  » Je jouais six mois au Québec et le reste de l’année je le passais ici. Mais depuis la pandémie, j’y suis à temps plein. J’aime bien la nature, ça me fait beaucoup de bien ».

C’est d’ailleurs dans ce magnifique décor naturel qu’il a écrit ses deux derniers spectacles solos, dont “Ça” qui le ramènera au Québec.

Tournée à finir

Au moment d’écrire ces lignes, André Sauvé annonçait reprendre la tournée de son troisième opus le jeudi 3 mars, tournée qui avait été abruptement suspendue en mars 2020 pour les raisons que l’on connaît. Une quarantaine de spectacles qu’il présentera aux quatre coins de la province jusqu’à l’ultime et dernière représentation prévue le mardi 28 juin au Théâtre Lionel-Groulx à Sainte-Thérèse, si tout se passe bien.

Acclamé par la critique, le spectacle “Ça” nous replonge dans la tête et l’univers d’André Sauvé qui, sans surprise, fait toujours autant rire que réfléchir.   » Faut écouter ça, dit-il en parlant de cette chose à l’intérieur de nous qu’on n’arrive pas à définir. Souvent les gens disent ça, mais jamais personne ne sait c’est quoi ça… bien que tout le monde sait qu’il faut écouter ça. C’est quoi cette chose-là qui me dit qu’y a qu’ecque chose qui marche pas ? « .

L’homme aux 36 métiers raconte en avoir tourné des pages sans trop savoir ce que lui réservait la suivante.  » C’est ce qui fait que je suis rendu où ce que je suis. Tout ça m’a fait vivre un paquet d’affaires, mais tout ne te dit pas ça. Sauter dans le vide et oser, ça fait partie des thèmes que j’aborde dans ce spectacle-là« . Le regard introspectif qu’il porte sur son propre parcours et ses “erreurs qui en bout de ligne n’en sont pas” trouvent écho auprès des spectateurs qui s’y reconnaissent« . Les réflexions existentielles sur la vie et certains rituels, c’est comme si c’était tabou, observe André Sauvé en évoquant les commentaires qu’on lui partage souvent sur le ton de la confidence après ses spectacles. « Ça me fait toujours plaisir quand les gens me disent qu’ils ont ri et passé un bon moment, mais de savoir qu’une réflexion est perçue au-delà du rire, ça me satisfait davantage ».

Il y voit aussi un côté libérateur : « Moi, je gagne ma vie avec ce dont j’aurais voulu me départir de moi-même. Le fait que des gens se reconnaissent là-dedans, on se sent moins tout seul. D’avoir un écho chez l’autre et que ça nous revienne, c’est guérissant« .

Le vrai

À l’étape de l’écriture, l’auteur et humoriste pense avant toute chose à toucher les gens et non pas à déclencher le rire à tout prix.  » Je relisais récemment un livre d’Hemingway qui disait que lorsqu’on est devant une page blanche, ce qui est le plus difficile c’est de trouver la première phrase vraie ; après ça, ça vient tout seul. Ça résonnait beaucoup chez moi. Le côté drôle me vient spontanément, je n’ai pas à y penser. Ce à quoi je m’attarde : est-ce que c’est vrai, est-ce que ça touche une vérité ? «  La quête identitaire est au cœur de l’écriture et la principale inspiration de celui qui affectionne particulièrement les travers de l’humain.

« Je parle peu de ce que j’observe chez les gens« , dit-il. « C’est beaucoup à partir de moi, mon regard sur la vie, mon passé, mes expériences. Quand j’étais petit, je me posais beaucoup de questions. C’est inné chez moi et le fait de vivre reculé, ça fait émerger ces questions-là ». De fait, le quintuple récipiendaire d’un Félix habite un village d’une dizaine d’âmes reclus des Hautes-Alpes, département de l’Hexagone aux frontières de l’Italie.

Le parfait équilibre

Ce Haut-Alpin d’adoption a trouvé le parfait équilibre là où il vit, lui qui a besoin de se retirer pour écrire. « On a un grand jardin, explique le cinquantenaire qui prend un réel plaisir à travailler la terre. Ici, la saison du jardinage est beaucoup plus longue, le printemps arrive plus tôt et l’automne est tardif ». Il écrit

le matin et, l’après-midi, il troque la plume pour une pioche, une pelle et une brouette tout en profitant de l’air pur et des montagnes tout autour. « On plante, on arrache, on transplante et ça me fait un grand bien. C’est de la création aussi, mais plus physique. Les idées me viennent pendant que j’épierre et que je pioche. Le fait d’allier ça avec l’écriture, c’est extraordinaire pour moi ».

Ce qu’il couche sur papier servira éventuellement un projet dont il ignore la forme que ça prendra, laissant entendre qu’on est dans un tout autre registre que celui de l’humour.

Une relation amour-haine avec la scène

Voilà bientôt 20 ans qu’André Sauvé brûle les planches. Bien qu’il adore ce qu’il fait, l’humoriste n’entretient pas moins une relation amour-haine avec la scène.  » Ça me demande beaucoup d’y aller soir après soir «  confie-t-il tout en concédant que c’est un bien petit prix à payer pour tout l’amour qu’il reçoit en retour. Il se rappelle ses premiers pas, mortifié de trac en coulisse :  » Mon metteur en scène, qui était Pierre Bernard, me poussait littéralement. C’était épouvantable ».

Si la scène ne le terrorise plus comme à ses débuts, n’empêche qu’il s’astreint à une routine à laquelle jamais il ne déroge dans les heures qui précèdent le lever du rideau, incluant une sieste en après-midi. Rien à voir avec la superstition, dit-il. « C’est plus une mise en état pour m’amener sur le “x” et qu’à 20 h tous les canaux ouvrent ». « Les gens pensent que j’ai de l’énergie à revendre, pantoute ! Faut voir tout ce qui a précédé. Elle est très conditionnelle' », poursuit l’humoriste qui a été propulsé sous les feux de la rampe à la fin trentaine, après qu’Yvon Deschamps l’eut découvert dans un concours d’humour dans la région du Bas-Saint-Laurent. Mais ce dont André Sauvé ne saurait se passer, c’est de la création et de l’écriture. « Le problème, c’est que je suis mon propre casting ; je m’auto-pogne dans mon affaire », mentionne-t-il sur un ton amusé.

Enfance heureuse

Né à Lachine au milieu des années 1960, il est le dernier d’une fratrie de cinq enfants. «  Je dis toujours : j’ai vu quatre traces en avant de moi et j’ai dit bon, je vais en prendre une autre  raconte celui pour qui “l’enfance a été une période extraordinaire” entourée de ses frères, sa sœur et ses cousins et cousines. Tous habitaient les quatre logements d’un immeuble qui appartenait à son grand-père.

Enfant déluré et curieux, André cultive déjà une imagination fertile et débordante.

 » On avait du fun. Mes parents ne nous ont jamais limités dans le jeu, le déconnage. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui sur la scène, je n’ai aucune pudeur à aller dans l’auto-dérision. Par contre, il y avait moins de place à communiquer l’émotion comme dans bien des familles québécoises, j’imagine », se souvient l’auteur, avançant que ses thèmes de prédilection lui viennent probablement de l’enfance où ses multiples questionnements ne trouvaient pas d’écho. Au sortir d’une adolescence difficile, il part à la conquête du monde et de lui-même. André Sauvé multiplie les thérapies, s’adonne au yoga et à la médiation et découvre les arts de la scène. Il tâte du mime avec la troupe Omnibus et le théâtre du mouvement de Paris. Il passe ensuite au jeu avec les techniques théâtrales, certaines inspirées de la comédienne et metteure en scène Pol Pelletier. À travers ça, il étudie, pratique puis enseigne le Bharata Natyam, la danse classique en Inde, pendant près de dix ans.

Puis, en 2004, un pari l’amène à s’inscrire au festival d’humour de Dégelis où André Sauvé triomphe dans l’Est du Québec. Témoin de cette performance qui changera le cours de sa vie, Yvon Deschamps tombe sous le charme et en fait aussitôt son protégé. On connaît la suite.

Voir les dates de tournée d’André: andresauve.com

 

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