L’histoire que nous vous racontons ici n’est pas banale. Elle met en cause un homme qui a vu son univers basculer, à la suite d’un accident, ce qui l’a amené dans la rue et dormir dans des refuges. Les clichés sont tenaces lorsqu’il est question d’itinérance, et le parcours d’Yvon Massicotte nous fait réaliser que personne n’est à l’abri de se retrouver à la rue si le destin s’acharne sur soi.

Yvon Massicotte est âgé de 70 ans, il ne les parait pas. « Ça fait seize ans que je travaille à L’Itinéraire et la plupart de mes clients pensent que j’ai 50 ou 55 ans. Je suis chanceux », dit-il.

Yvon, à quel moment le vent a-t-il tourné dans ta vie?

J’avais mon entreprise de ferrailles, je faisais des gros revenus et je dépensais aussi beaucoup. Je n’étais pas le genre à mettre de l’argent de côté. En 1995, j’ai travaillé dans l’émondage des arbres. Ce jour-là, j’étais à l’île Bizard et pendant que je travaillais, un arbre est tombé sur moi. Je l’ai reçu dans le dos, tout près de ma tête, un peu plus et j’aurais pu mourir sur le coup. Quand mon neveu m’a vu étendu par terre, je saignais de la bouche parce que la bûche m’avait blessé à la tête, il pensait que je faisais une hémorragie interne et que j’étais mort. J’ai été incapable de marcher durant quelques mois, et plus ça allait, plus je marchais tout croche, ça n’avait pas de bon sens.

Tu n’avais pas d’assurance quand ton accident est arrivé?

Non, je travaillais en dessous de la table, je suis un autodidacte. Je peux remonter des moteurs de voitures, je peux souder, faire de la construction, je touche à tout. Quand tu n’as pas d’instruction, on te donne le salaire minimum

Comment t’es-tu retrouvé à la rue?

J’avais une hernie à l’intérieur de la colonne vertébrale, j’ai été opéré deux fois au dos pour régler le problème et j’ai arrêté de travailler. J’étais sur l’aide sociale et j’avais des mois de loyers en retard. Un jour, la serrure a été changée, je ne pouvais plus retourner chez nous, ce qui fait que je me suis retrouvé à la rue. Moi, je ne savais même pas qu’il y avait des refuges à Montréal, je ne savais pas où aller. Je me suis promené en autobus durant trois jours, je dormais dehors. Ma sœur m’a donné des adresses de refuges, J’ai pu prendre une douche, on m’a donné des vêtements, puis je suis mis à ramasser des cannettes pour me faire un peu d’argent. En quatre ans, j’ai dormis dehors l’équivalent d’une semaine.

Quand tu étais dans la rue à chercher des cannettes, tu sentais que les gens te jugeaient?

Oui, mais je m’habillais de façon à ce qu’ils ne pensent pas que j’étais dans la rue. Quand ils me voyaient avec mes poches de canettes, ils pouvaient penser ça, mais les gens n’avaient pas peur de moi. Il y a certains itinérants qui parlent tout seuls, qui peuvent faire peur parce qu’ils ont des problèmes de santé mentale, mais dans mon cas, ce n’était pas ça. Il y a même eu une dame qui est sortie d’une église un jour pour me donner un cinq piastres pendant que j’étais dans un container à ramasser des canettes. Je lui ai montré mon sac, je lui ai dit que je n’avais pas besoin d’argent, et elle m’a répondu : « Tu mérites ça, c’est de l’ouvrage ce que tu fais. »

À quel moment L’Itinéraire est entré dans ta vie?

J’avais un chum qui était dans la rue aussi, et il me parlait de L’Itinéraire. Ça se vendait 2$ et pour moi, c’était de quêter. Tout le monde qui me verrait, qui me reconnaitrait et savait que je faisais de l’argent au boutte avant, qu’est-ce qu’ils diraient? Mais j’ai décidé de l’essayer, je vendais le journal et je me cachais quasiment derrière. C’était en 2007. La première journée, j’ai travaillé onze heures sans arrêter, et j’en avais vendu sept, ça m’a donné 7$. Ça s’est amélioré, j’ai même été à un moment donné parmi les meilleurs vendeurs, j’en avais vendu huit cents en un mois. »

L’équipe de l’Itinéraire.

L’Itinéraire, c’est plus qu’un magazine qui est fait par toute une équipe. On accompagne les personnes vulnérables âgées de dix-huit ans et plus qui risquent de devenir itinérants, ou qui éprouvent des problèmes de dépendance ou de santé mentale. L’Itinéraire, c’est aussi 124 camelots actifs, pas moins de 150 repas sont servis au local situé coin Ste-Catherine et De Lorimier, et des intervenants sont disponibles pour venir en aide à ceux qui en ont besoin. Au fil des ans, peut-on lire sur le site, environ 3 200 personnes ont amélioré leur qualité de vie par la rédaction et la vente du magazine de rue. Dans le cas d’Yvon, comme pour bien d’autres, L’Itinéraire a été une bouée, une façon de retrouver de la dignité et de gagner sa vie. Surtout, il se dit heureux.

Est-ce qu’il t’arrive de penser que si cet arbre-là n’était pas tombé sur toi, tu aurais eu une vie bien différente?

Je n’aurais pas eu une plus belle vie que j’ai là. Jamais je n’aurais fait de la télévision et de la radio pour raconter mon histoire et parler de l’itinérance. Le groupe communautaire est ma famille. J’adore ce que je fais, rencontrer les gens et leur parler. J’ai ce don-là de parler facilement, je ne suis pas gêné, c’était tout le contraire quand j’étais petit. J’étais énormément timide et introverti, et là je suis extraverti, dit-il en riant.

Aujourd’hui, Yvon habite seul dans un logement, il reçoit sa pension de vieillesse, et il est toujours camelot pour L’Itinéraire en plus d’être un fier représentant de l’organisme.

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